En France, chaque année, des milliers d’enfants se retrouvent concernés par une mesure de placement, décidée au nom de leur protection. Un geste grave, censé garantir leur sécurité et leur bien-être, mais qui peut transformer brutalement leur vie. Trop souvent, dans la tourmente des procédures, la parole des principaux intéressés – les enfants eux-mêmes – n’est entendue qu’en pointillés, diluée, parfois ignorée. Pourtant, dans le sillage de la convention internationale des droits de l’enfant, écouter ceux dont l’avenir se joue est un devoir essentiel : savoir ce qu’ils ressentent, ce qu’ils souhaitent, ce qu’ils craignent ou espèrent.
Reconnaître l’enfant comme porteur d’une parole et d’une expérience propres, c’est lui permettre d’être acteur de son histoire, même dans la tempête. Ce droit fondamental est non seulement juridiquement consacré, mais il constitue aussi une condition indispensable pour que la protection de l’enfance soit vraiment respectueuse de chaque individu. Car écouter un enfant, ce n’est pas céder à un caprice, c’est le regarder dans sa singularité, le rassurer, et poser les jalons d’un accompagnement plus humain.
À travers cet article, nous allons explorer pourquoi et comment l’attention accordée à la parole des enfants doit devenir un pilier concret du système de protection de l’enfance, et comment les familles, soutenues par des associations comme la nôtre, peuvent faire vivre ce droit au quotidien.
"Écouter" un enfant n’est pas seulement tendre une oreille, ni remplir une obligation administrative. Cela implique de prendre en compte sa parole, d’instaurer un climat de confiance et surtout d’accepter que, même jeune, l’enfant dispose d’une expérience du monde qui lui est propre.
Dans le contexte d’un placement, où les repères volent en éclats, donner la possibilité à l’enfant d’exprimer ses sentiments, ses craintes et ses espoirs est indispensable pour préserver son équilibre psychologique. Trop souvent, les décisions se prennent dans l’urgence, sans revenir sur ce que ressent vraiment l’enfant. Pourtant, ce sont ses émotions, son attachement à sa famille ou encore sa perception des adultes qui conditionneront son adaptation au nouvel environnement.
Écouter, c’est offrir du temps, aménager des espaces sûrs où la parole peut se libérer sans crainte de jugement. C’est aussi prêter attention à ses silences, à ses maladresses, à ses colères – tout ce que l’enfant ne sait pas toujours nommer mais qui parle de ses besoins profonds. Aujourd’hui, il est vital qu’assistants sociaux, magistrats, éducateurs et familles connaissent l’importance d’un tel engagement.
Depuis la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, ratifiée en 1989 par la France, le respect de la parole de l’enfant s’impose en principe. Son article 12 affirme que "l’enfant capable de discernement a le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant", cette opinion devant être prise en considération "eu égard à son âge et à son degré de maturité".
La loi française elle-même renforce ce droit : toute procédure d’aide sociale à l’enfance prévoit, en théorie, l’audition systématique du mineur selon sa maturité. La réalité, hélas, est parfois éloignée des textes. Mais ces bases sont essentielles, car elles rappellent que la place de l’enfant dans la décision n’est pas accessoire. Droits de l’enfant, audition, intérêt supérieur : ces notions doivent cesser de vivre dans les seuls manuels de droit pour irriguer les pratiques quotidiennes.
Toute association de soutien aux familles insistera sur ce point pour défendre ce droit : la parole de l’enfant n’est ni une formalité, ni un luxe. C’est le socle d’une mesure protectrice qui se veut juste.
Au-delà du juridique, il existe une dimension profondément humaine à écouter l’enfant avant une décision de placement. En effet, derrière chaque situation, il y a une histoire singulière : un vécu familial, des liens plus ou moins solides ou abîmés, des ruptures, parfois des malentendus, des blessures invisibles.
Dans le parcours de nombreux jeunes, le défaut d’écoute laisse des cicatrices durables. Des ex-enfants placés témoignent, bien des années après, du sentiment d’injustice, voire d’abandon, qu’ils ont ressenti lorsqu’ils ont été traités comme des "objets de procédure", et non comme des sujets à qui l’on demande ce qu’ils vivent vraiment.
Pour les professionnels, il n’est pas toujours aisé de recueillir la parole d’un enfant qui souffre, qui a peur ou qui ne comprend pas tout. Cela demande patience, formation, humilité. Mais prendre ce temps, c’est permettre à l’enfant de s’approprier ce qui lui arrive, et de ne pas subir totalement. Dans les familles soutenues par notre association, beaucoup de parents luttent pour que leurs enfants soient entendus, car ils savent que cela peut faire la différence pour la reconstruction future.
Loin d’être théorique, ce manque d’écoute se traduit dans la réalité par des décisions mal vécues, parfois désastreuses. Prenons le cas d’Aurélie, 11 ans, placée sans avoir jamais rencontré le juge, ni même pu s’exprimer devant un professionnel ; son placement, brutal, l’a plongée dans l’anxiété et l’insomnie, alors qu’un simple entretien aurait pu révéler son profond attachement à ses frères restés chez leurs grands-parents.
À l’inverse, dans d’autres situations, lorsque la parole de l’enfant est sérieusement prise en compte, on constate une meilleure adaptation et moins de ruptures de placement. Il arrive, aussi, qu’un jeune puisse expliquer en quoi un placement serait plus nocif que bénéfique, ou, au contraire, exprimer une volonté de s’éloigner temporairement du foyer familial le temps que les choses s’apaisent.
Ces exemples montrent à quel point le respect de la parole de l’enfant, son recueil sincère, sont des facteurs de réussite ou d’échec. Ignorer ce droit conduit trop souvent à accentuer la souffrance et à compromettre l’avenir.
Le travail des institutions de la protection de l’enfance, souvent sous pression, peut prendre la forme d’une gestion en flux tendu, où le parcours de l’enfant est balisé à l’extrême, parfois au détriment de l’individualisation. Dans ce contexte, il est tentant de suivre des protocoles ou des routines administratives, en oubliant la nécessité d’adapter chaque décision à la situation réelle de chaque enfant.
Or, une approche "calibrée" expose à des risques : sentiment d’injustice, développement d’une défiance envers les adultes, perte de liens d’attachement sécurisants. Éloigner un enfant de tout ce qu’il connaît sans véritable dialogue, c’est risquer de l’isoler encore davantage et d’augmenter son mal-être.
Le manque de ressources, le tournus important au sein des équipes, la surcharge des magistrats ne justifient pas une telle attitude. Il en va du devoir moral de chacun de ne pas sacrifier la parole de l’enfant sur l’autel de l’efficacité. Ce sont les besoins de l’enfant qui doivent primer sur la logique institutionnelle.
Face à la complexité des procédures, les familles se retrouvent souvent impuissantes, perdues dans le labyrinthe administratif. Pourtant, elles demeurent les premiers soutiens de l’enfant et, avec les associations, peuvent faire valoir ce droit fondamental à l’écoute.
Notre association, PERB, accompagne les parents dans leurs démarches, leur apportant soutien psychologique, conseils concrets, et appui lors des rendez-vous officiels. Nous encourageons chacun à demander explicitement l’audition de l’enfant, à solliciter des entretiens avec les travailleurs sociaux, à rappeler les textes de lois lors des audiences.
Les collectifs de familles apportent également une force de témoignage supplémentaire, brisant l’isolement et rappelant que derrière chaque dossier, il y a une vie qui mérite d’être respectée. L’écoute de l’enfant n’est pas l’ennemie des adultes, elle est la condition d’une mesure protectrice réellement humaniste. Pour toute question ou besoin d’accompagnement, n’hésitez pas à nous contacter.
Une réelle valorisation de la parole de l’enfant ne saurait se faire sans une évolution des pratiques professionnelles. Travailler en protection de l’enfance implique de capter une parole souvent fragile et inconsistante, de décoder des mots parfois absents.
C’est pourquoi la formation continue des juges, éducateurs, assistantes sociales doit systématiquement intégrer des modules sur l’écoute active, la prise en charge du trauma, la manière de recueillir et d’utiliser la parole de l’enfant sans la trahir ou la manipuler.
Des expérimentations récentes ont montré que lorsqu’un climat de confiance est instauré, les enfants, même très jeunes, peuvent exprimer leur avis et participer à l’élaboration des solutions les concernant. Mieux formés, les professionnels peuvent repérer les signaux faibles, proposer des alternatives au placement quand cela est possible, ou mener des entretiens adaptés à l’âge et à la maturité de l’enfant. La formation et la sensibilisation sont donc des enjeux cruciaux pour placer la parole de l’enfant au cœur du dispositif.
Certaines structures ou territoires ont développé des dispositifs innovants pour recueillir la parole des enfants : entretiens systématiques par des professionnels spécialement formés, présence de référents stables pour chaque enfant, création de groupes de parole destinés aux mineurs sous mesure de protection.
Là où ces pratiques sont mises en place, on observe une diminution des tensions, une plus grande adhésion des enfants aux solutions proposées, et un sentiment de respect accru chez les familles. Il devient alors évident que la parole des enfants, loin d’être un obstacle, permet une meilleure évaluation de la situation et une adaptation des réponses institutionnelles.
Ces exemples doivent inspirer l’ensemble des acteurs et inciter à généraliser ces méthodes. Nourrir une culture de l’écoute, c’est reconnaître que chaque histoire est différente, que la protection ne saurait être efficace sans individualisation profonde. Ainsi, les enfants non seulement sont protégés, mais aussi reconnus dans leur humanité.
Reconnaître la capacité des enfants à participer aux choix qui les concernent, c’est investir dans leur avenir, leur santé mentale, et leur capacité à se reconstruire. Là où ce droit est bafoué, ce sont la défiance, la colère et parfois la détresse qui prennent le relais. À l’inverse, redonner une place à la voix des enfants, c’est refonder notre système de protection sur le respect, la confiance et l’accompagnement personnalisé.
Dans le chemin difficile qu’est celui du placement, chaque professionnel, chaque parent, chaque citoyen peut agir. Car un dialogue vrai, même dans les moments les plus compliqués, peut rendre supportable l’épreuve du placement et ouvrir des chemins vers la résilience.
Pour gagner ce pari, familles et acteurs sociaux doivent travailler main dans la main, chaque décision de placement devant être réfléchie à l’aune de la réalité vécue par l’enfant.
L’écoute de l’enfant lors des décisions de placement est bien plus qu’un droit ; c’est une exigence éthique, humaine, et une condition de réparation. En défendant ce principe, nous affirmons haut et fort que la dignité, les besoins et la voix de chaque enfant comptent.
À nous tous, familles, professionnels, associations, citoyens, de veiller à ce que ce principe ne reste pas lettre morte. S’investir pour une protection de l’enfance plus juste, c’est offrir à chaque enfant la possibilité d’être acteur de son histoire même dans l’adversité. Ne restez pas seuls face à ces questions : pour toute demande, partage ou besoin d’aide, nous contacter.